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Philippe Pujol : les quartiers ont l'énergie créative


Philippe Pujol est né à Paris mais c’est à Marseille qu’il passe sa jeunesse, fait ses études en biologie, en informatique et finalement en journalisme. En 2014, grâce à une série d’articles nommée « Quartier shit », il remporte le prix Albert-Londres du grand reportage de presse écrite. Il publie également des romans et son dernier ouvrage, « Marseille 2040 », est un récit d’anticipation, construit à partir d’une enquête évoquant les défis qui attendent le système de santé français. Nous avons eu le plaisir de pouvoir le questionner sur sa perception des jeunes des « quartiers nord ».

Quelle est votre vision de la jeunesse des quartiers ?


Les jeunes de quartiers populaires ont le même dynamisme que n’importe quelle jeunesse. Ils ont, pour une immense majorité, l’envie de faire quelque chose de leur vie. Ils y croient, ils en veulent. Ce ne sont pas des bagarreurs mais des battants. Ils sont conscients de devoir en faire plus pour aller à un même niveau que des adolescents d’autres quartiers. Mais leur approche est paradoxale : ils sont totalement dans le monde moderne, par exemple ils ne sont plus dans l’idée de leurs parents qui consistait souvent à rentrer dans le BTP ou devenir fonctionnaires, cette génération-là veut faire des affaires, elle est très « start up nation». Au-delà du fric, ces jeunes veulent être entrepreneurs, ils veulent faire du business dans le textile, dans l’alimentaire, ils montent aussi des entreprises de sécurité, de nettoyage, ils font de la livraison. Ils essaient de compenser les manques. Finalement, ceux qui « dealent » sont des entrepreneurs qui collent au mode de fonctionnement du capitalisme le plus sauvage qui soit. La théorie de « la destruction créatrice » de Schumpeter se manifeste dans le règlement de compte physique. Quand, dans l’univers des entreprises, il y a une OPA et qu’une entreprise en absorbe une autre et génère des morts économiques, là on a un réseau qui en mange un autre, cela fait des morts physiques. Nous avons chez ces jeunes les mêmes modes de fonctionnement, des langages très proches. Ces personnes-là, pour les plus débrouillards, passent très facilement dans des entreprises qui ont un fonctionnement libéral.


Que gagneraient les entreprises à s'intéresser à eux ?


Ces jeunes ont une envie incroyable : ils ont à trouver les compétences qui ne leur sont pas fournies, ils ont le besoin de travailler plus. Alors évidemment, ils ont également des défauts. On mentionne souvent une absence de savoir-être, ils ont moins de background culturel et ils ont des problèmes liés à l’identification, que ce soit la couleur de peau, leur nom ou l’adresse qui créent un blocage psychologique. Ils se rajoutent eux-mêmes des barrières. C’est sur ce dernier registre que les entreprises peuvent agir, en leur donnant une chance. En allant leur dire : « non, ce n’est pas un métier seulement pour les blancs » ou quelle que soit la catégorisation. En outre, en plus d’être des jeunes très motivés, ils ne sont pas formatés, ils s’adaptent facilement et très vite. Évidemment, on s’attarde plus facilement sur la très petite minorité qui se fait remarquer pour de mauvaises raisons, notamment le trafic de stupéfiants.


À ce propos, la légalisation du cannabis pourrait-elle représenter une opportunité professionnelle pour eux ?


À mon avis, il ne faut pas rêver. Si on imagine une légalisation quasi-complète, à l’américaine, je pense qu’il y aura quelques dégourdis des cités qui arriveront à créer des business mais ce seront surtout des grandes entreprises qui créeront des franchises. Si on rentre dans un autre type de légalisation qui passe par les officines, alors ce sera l’État qui sera en charge.


Vos travaux sont très politiques... Quelles seraient vos actions en direction des jeunes si vous étiez un élu ?


Avant tout, je ne le souhaite pas. Mais si j’étais dans cette position, la première chose qui me tiendrait à cœur serait de réintroduire massivement la culture populaire dans les quartiers. Aujourd’hui, il est très important d’avoir un background culturel, que ce soit en termes d’éducation musicale, littéraire, cinématographique et dans les « nouveaux médias ». Je crois très fortement à l’industrie créative pour les quartiers populaires. Et la mauvaise réputation de Marseille, et plus spécifiquement de ces jeunes, n’est pas un frein pour réussir dans cette industrie créative : ce mauvais accent « bad boy » est parfait pour écrire des scénarios, il convient à des vocations de comédiens, de réalisateurs ou même de producteurs… Il y a de très bons producteurs qui ont été des « bad boys ». Que ce soit dans le cinéma, le jeu vidéo, le théâtre ou la photographie d’ailleurs. Bien sûr, ces jeunes ne seront pas tous artistes mais en revanche, ils pourraient être de bons techniciens, de bons commerciaux. Il n’y a pas que le cinéma… Le cinéma c’est le plus visible mais les domaines créatifs sont nombreux et peuvent être générateurs de business. C’est à ce niveau-là que la mauvaise réputation de Marseille est intéressante ; nous essayons de cacher cela, mais il faudrait s’en servir, la détourner, l’utiliser… Nous montrons seulement une image de Marseille qui se voudrait la plus propre et lisse possible, mais il n’y a pas que les croisières pour faire briller notre ville… Les croisières n’aident en rien les jeunes des cités !



Crédit Photo : Benjamin Geminel


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